LE CLOWN
Seul en scène devant le monde entier, il a fait rire les hommes de toutes les générations. Il possède l’élégance saccadée d’une marionnette et l’attitude maladroite d’un bonhomme naïf. On peut le reconnaître avec aisance, ses souliers d’un verni impeccable, chaussant des pieds avec dix pointures de plus, son costume blanc immaculé, nœud papillon de couleur attirante, nez rouge vermillon et chapeau melon jaune écrasé sur sa tête de poupon, aux long cheveux bouclés.
La pureté du clown contraste toujours avec la désinvolture de ceux qui se moquent de lui, évacuant ainsi leurs propres travers quand ils se mettent à rire à gorge déployée. Dans les actes authentiques de sa sainte personne, les hommes qui le regardent se retrouvent solitaires, avec eux-mêmes, rejetant sur le comique tous les défauts qu’ils n’osent pas s’avouer. Et sur l’estrade, prisonnier encerclé, le thérapeute comédien ramasse ainsi tous les malheurs de l’humanité.
En riant de cet imbécile, conventions et principes s’évaporent en douceur dans l’intimité des spectateurs. Pendant des années, ils avaient regardé de loin l’existence mais avec l’alchimiste du cirque, ils commencent à vivre avec une identité dépourvue du désir de se comparer au voisinage. Comme leur maître, ils deviendraient les acteurs de leur propre vie.
Écoutant le passé prendre la fuite, le clown sentit alors qu’il venait d’achever son œuvre. Il choisit de disparaître, harassé par sa mission délicate, ne voulant plus qu’on se fiche de lui à chaque fois qu’il faisait un geste ou qu’il disait une parole. Il s’endormit sur scène à l’issue du spectacle.
Le lendemain de son départ, les hommes n’ont pas voulu pleurer, sachant qu’il serait toujours parmi eux. Sa lumière les avait pénétrés pour les guider dans la permanence, pardonnés avec sa bienveillance. D’en haut, il pourrait continuer sa mission, essayant, pour chacun d’entre eux, de les garder intègres, afin que la planète des hommes puisse continuer de s’épanouir dans la tendresse de l’amour divin.